Fille de Paname
Presse
« VOLPONE » AU CAFÉ DE LA GARE

Le Café de la Gare propose de (re)découvrir une comédie anglaise emblématique du 17e siècle, signée Ben Jonson. Volpone est en effet une farce cruelle autour d’un avare réservant des tours pendables à celles et ceux qui en veulent à son argent. Jusqu’où est-on prêt à aller pour remporter la timbale ? Une pièce à vos rires et périls !

Avant Molière et Goldoni, il y avait Ben Jonson, ami et rival de Shakespeare, excessivement reconnu en son temps, toujours plébiscité outre-Manche et dont les pièces d’humour noir ne parviennent que trop rarement dans l’Hexagone. Volpone, la plus célèbre, également intitulée Le Renard, est de celles-là. Régulièrement réinventée sur scène comme sur les plateaux de cinéma, elle traite de l’amour excessif de l’argent avec une cruauté bien supérieure à L’Avare qui pourrait s’en réclamer. On suit ici les méfaits de Volpone, senior célibataire et sans progéniture, qui se joue des prétendants à sa fortune en leur faisant croire qu’il est à l’article de la mort. Par l’entremise de son facétieux serviteur, Mosca, roublard, manipulateur et volubile, il obtient de chacun d’eux des présents l’enrichissant encore davantage, tout en leur laissant miroiter qu’il seront l’unique héritier de ses biens. Et chacun va y perdre bien plus qu’il ne l’imaginait…

Bienvenue dans la Venise de la fin du 16e siècle. Derrière les ors et les apparats, des monstres de cupidité et de bassesses. Un avocat prêt à défendre l’indéfendable, quitte à y perdre sa réputation ; un marchand offrant la pureté de sa femme jusqu’à la répudier ; et un vieillard déshéritant son fils unique et méprisant ainsi ce qu’il a de plus cher. Tous sont le jouet de la duperie de Volpone et Mosca, l’un en faux-mourant et l’autre, en fieffé filou. Au fur et à mesure que cette comédie de mœurs s’installe, la cruauté monte d’un cran, petit à petit. Derrière le badinage du cabotin Mosca, toujours prompt à dénouer toutes les situations inextricables, se cache un plan général encore plus diabolique que prévu. Ici, personne n’est à l’abri d’y laisser des plumes. Les quiproquos et le ballet de scènes joliment troussées et faussement badines, ne sont qu’un prétexte pour Jonson afin d’appuyer là où ça fait mal, avec un plaisir communicatif. Le cynisme et l’humour noir de l’auteur semblent en avance sur leur époque (notamment lors d’une scène où le sexe fort est prêt à tout pour arriver à ses fins, quitte à salir une pureté tant désirée), tant Ben Jonson ose sacrifier ses personnages sur l’autel de la cupidité sans le moindre remords. Ici, point de morale, ni de salut, si ce n’est que l’argent fait tourner bien des têtes et que les coeurs purs perdront tout autant que ceux qui les ont utilisés à mauvais escient.

À l’heure où l’on ne parle (à juste titre) que de Molière (après tout, on n’a pas 400 ans tous les jours), le Café de la Gare réhabilite un auteur qui mérite pourtant la même notoriété dans nos contrées. Carine Montag (interprétant également la belle Célia) met en scène cette retorse galéjade avec jubilation et ses comédiens se donnent sans compter dans leurs habits de bons princes dissimulant les pires des obscénités. Parmi eux, Frédéric Roger, impérial en Volpone se délectant de se jouer des charognards lui tournant autour et François Bérard, impressionnant en rusé Mosca, de toutes les scènes ou presque. Avis aux amateurs de comédies sortant des sentiers battus, Volpone aura tout l’or – pardon, l’heur – de vous plaire…
Julien Wagner, Fille de Paname - 29 avril 2022